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Francoise k
Jacques était un collègue précieux, sa gentillesse et sa culture nous manquent déjà
Vincent Boyajean
J’ai appris ce jeudi 11 mai le décès de Jacques et j’en suis très touché. Je regrette de ne pas l’avoir appris plus tôt, j’aurais souhaité lui rendre hommage lors de ses obsèques. Comme bon nombre de ses étudiants, j’ai suivi son enseignement et il a beaucoup compté pour moi. C’est une très grande perte. Toutes mes condoléances à sa famille, ses proches.
Hommage de son ami Laurent Valdiguié mardi matin en l’Eglise saint Pierre de Montmartre
Je l’ai aimé d’une amitié infinie. C’était un ami merveilleux. Généreux. Pas simplement généreux avec son superflu, c’est à la portée de tout le monde. Il était généreux même fauché. Il aurait donné sa chemise. De toute façon, il se foutait de ses horribles chemises, au point d’en porter deux à la fois... Il ne croyait qu’en la beauté intérieure. Il se foutait par-dessus tout du fric et des apparences. C’était un anti-bourgeois. Il citait sa mère, « au-dessus de 20 000 francs par mois, le salaire est un vol. » 3000 euros par mois, Madame Hennen, il y a des voleurs dans l’église… Il était l’anti-frime. D’ailleurs, il répétait cette phrase, comme un bouclier à toute forme de vanité et comme une philosophie personnelle : « la vie est une gigantesque farce ». Je l’entends rajouter avec une pointe d’humour et d’ironie « mon pauvre Laurent ». « Mon pauvre Laurent, la vie est une gigantesque farce ». Il était détaché des choses. Lucide. Dupe de rien, ni de personne. Mais drôle surtout. Et toujours drôle avec tact. Aussi à l’aise dans un bar de Pigalle que dans un salon de Matignon. C’était mon ami. C’était mon « Frère Jacques » comme l’a baptisé ma fille Madeleine, du haut de ses six ans, sans savoir à quel point elle avait raison. Je suis là maintenant pour lui dire merci devant vous. Il imprègne ma vie et celle de nombreuses autres personnes ici, et il va irriguer nos existences jusqu’à leur propre terme. C’était une chance inouïe de vivre aux côtés de ce géant joyeux au si grand cœur… On s’est trouvé au Républicain Lorrain à Thionville en 1987, avant la réélection du Vieux comme il appelait Mitterrand, avec sa façon de donner des surnoms à tout le monde. On tapait les articles de nos 20 ans sur de vieilles machines à écrire. On a vu ensemble nos premiers morts sur le bas-côté des routes. C’était la presse écrite du siècle dernier. La presse de la vie des gens. La presse du malheur comme celle des photos de mariage. Après Thionville, je l’ai suivi à la locale du parisien à Évry. Il y avait déterré de la terre contaminée avec Gilles. Son premier scandale. Evry c’était une vie de dingue. Des affaires à foison. La traque des véreux de tous poils dans un département où les élus avaient mis au point ce qu’on avait appelé « un manuel de la corruption ». C’est là qu’il s’est mis à ressembler à son héros Ben Bradlee… Puis il y a eu la période Saint-Ouen, au siège du Parisien. Son grand rôle, c’était patron des informations générales. Bouffer du « fait du jour ». Tout refaire à partir de 21h. Attendre les premiers exemplaires aux rotos… Quelle journée le 11 septembre… Il a géré 23 pages. Un record. Bien sûr qu’il ne notait rien, il avait tout dans la tête. Il le cachait, mais il était hypermnésique. Son téléphone était vide de tout nom, il connaissait tous ses numéros par cœur. Derrière ses apparences foutraques et désordonnées qu’il lui arrivait de surjouer, lui qui a toujours pris soin de brouiller les pistes et surtout de minimiser son rôle, c’était un bourreau de travail. Arriver tôt, finir tard, et vivre entre les deux. Longtemps il a aimé la nuit, chat à sept vies qu’il était, parce qu’il pouvait s’y cacher. Et souffler un peu, lui qui, le jour, week-end compris, devait trouver du temps pour tout le monde. C’était un chef né. Naturellement charismatique. Gardant son calme en toute circonstance. Capable de tout comprendre au quart de tour. Ses rares colères étaient froides. « Va dans ta chambre !», il m’a dit une fois au bureau. C’était le capitaine de navire en guerre. Au service de sa troupe. Une bande… Eric, Toto, Julien, François, Nelly, Timothée, Azzedine, Christophe, Jean-Baptiste, Isabelle, Sandra, Olivier, Stéphane, Jean-Pierre et Martine, Annie et… Rémy, bien sûr, et j’en oublie tant. C’était surtout un journaliste né. Lui qui dont la voie toute tracée était d’être avocat comme son papa, bâtonnier de Briey (et il aurait été un bon avocat) avait la passion du journalisme. Il avait le DON du journalisme. Le don de savoir instantanément ce qu’il fallait chercher. « Appelle untel et si tu l’as on fait la totale »… Un don de quasi « voyance », capable de détecter avant tout le monde, dans la nuit de fond de l’actualité, le truc qui allait « monter ». Il disait, en provoquant un peu, l’actu ça « s’invente ». Certains journalistes politiques, où il a passé six mois pas simples, le craignaient parce qu’en relisant un papier, il pouvait prendre une phrase cachée au fond du texte, la remonter au début et en faire une manchette tonitruante. Ils le trouvaient « dangereux » et lui trouvaient des défauts parce qu’il ne respectait pas leurs codes… Lui aimait « faire de l’info » comme on fabrique des bombes. Persuadé qu’il était que la « révélation » est la cousine de la Révolution. Et qu’on était là pour changer la vie, pas pour servir la soupe… il a incarné à lui tout seul Le Parisien de ces années 90 et 2000… Sauf qu’à force d’être toujours présent pour les autres, de ne compter ni ses heures ni ses jours ni ses peines, il manquait toujours de tout pour lui. Ces derniers temps, il était fatigué. Il avait décidé de s’arrêter de travailler cet été. Macron ou pas Macron… Ça fait un moment qu’il la préparait cette retraite, il s’était même trouvé un pécule ad-hoc. Longtemps je n’y ai pas cru : « Tu vas t’emmerder Jacques ! » « Pas du tout, je suis un contemplatif, je ne m’emmerde jamais … et puis je veux avoir la paix ». Et il lui arrivait d’ajouter, comme un avertissement collectif : «La caisse de retraite des journalistes est la plus riche de France ». Il rêvait de Los Angeles ou de New York, de revenir au pays des Hommes du Président. Dans 10 jours, il devait aller à Londres avec Martine. Il aurait revu la mer. Il adorait par-dessus tout voyager seul et se retrouver à une terrasse face à la Méditerranée. Il avait adoré Palerme. Il était spécialement allé devant l’arbre planté en la mémoire du juge Falcone. Et Édimbourg en bus à étage et le fantôme du Loch Ness. Sa dernière escapade, lui qui pourtant n’y connaissait rien au foot (même s’il a réussi l’exploit absolu à mes yeux d’écrire un livre sur Benzema), aura été pour une des grandes capitales du ballon rond… ça lui pris d’un coup y a trois semaines : « Je vais à Turin ». « Ah bon, mais qu’est-ce que tu vas foutre à Turin ? » - Y a des billets de train pas cher. Et puis, il va faire beau et j’ai ai marre de la pluie de Paris. - Mais pourquoi Turin, va plutôt à Rome, Venise ou Florence…? - Y a trois trucs à voir à Turin, le Suaire, le musée de la Voiture et le deuxième plus grand musée au monde d’égyptologie. - Mais enfin Jacques, le suaire est un faux, tout le monde le sait. La voiture tu t’en fous complet, et l’égyptologie va plutôt au Louvre. Mais non, il fallait qu’il parte à Turin. Je lui ai écrit « prie pour moi devant le suaire » et j’ai rajouté, « on ne sait jamais… » (excusez-moi mon père). Il a répondu « Promis ». Et puis il est rentré directement pour les urgences de Saint Antoine et Cochin. L’hôpital du Vieux comme il aurait dit. Il a poussé l’élégance de ses derniers quinze jours en faisant d’abord croire qu’il passait de simples examens, puis qu’il appellerait, « promis demain ». « Promis demain »… Avec interdiction impérieuse de chercher à savoir où il était. « Mais comment tu vas aujourd’hui ? » « Bizarrement ». C’est le dernier mot de lui dans mon téléphone. Il venait d’être opéré pour la deuxième fois mais je n’en savais rien. « Bizarrement ». Un dernier mot comme une porte de labyrinthe de ces quinze derniers jours sans jamais se plaindre. En se cachant. Comme dans la chanson de Brassens. Creuse la terre, creuse le temps. Il aimait le large. Il est mort en prenant le large tout seul. Comme tous ceux qui aiment la mer en homme libre. Exactement comme il voulait vivre. Lui qui nous a tant aidés à vivre, n’avait pas besoin de nous pour mourir. Au revoir mon Capitaine. Mon ami. Mon frère Jacques.
Tristan Naxos
Merci monsieur Hennen de m'avoir permis d’effectuer mes premiers pas dans une rédaction, mes premiers pas dans la rédactions du parisien 91. Douce pensée pour vous et votre entourage. Tristan
Caroline
Un homme qui incarnait ce métier avec une rare humanité. Merci
Francoise k
Jacques était un collègue précieux, sa gentillesse et sa culture nous manquent déjà
Vincent Boyajean
J’ai appris ce jeudi 11 mai le décès de Jacques et j’en suis très touché. Je regrette de ne pas l’avoir appris plus tôt, j’aurais souhaité lui rendre hommage lors de ses obsèques. Comme bon nombre de ses étudiants, j’ai suivi son enseignement et il a beaucoup compté pour moi. C’est une très grande perte. Toutes mes condoléances à sa famille, ses proches.
Hommage de son ami Laurent Valdiguié mardi matin en l’Eglise saint Pierre de Montmartre
Je l’ai aimé d’une amitié infinie. C’était un ami merveilleux. Généreux. Pas simplement généreux avec son superflu, c’est à la portée de tout le monde. Il était généreux même fauché. Il aurait donné sa chemise. De toute façon, il se foutait de ses horribles chemises, au point d’en porter deux à la fois... Il ne croyait qu’en la beauté intérieure. Il se foutait par-dessus tout du fric et des apparences. C’était un anti-bourgeois. Il citait sa mère, « au-dessus de 20 000 francs par mois, le salaire est un vol. » 3000 euros par mois, Madame Hennen, il y a des voleurs dans l’église… Il était l’anti-frime. D’ailleurs, il répétait cette phrase, comme un bouclier à toute forme de vanité et comme une philosophie personnelle : « la vie est une gigantesque farce ». Je l’entends rajouter avec une pointe d’humour et d’ironie « mon pauvre Laurent ». « Mon pauvre Laurent, la vie est une gigantesque farce ». Il était détaché des choses. Lucide. Dupe de rien, ni de personne. Mais drôle surtout. Et toujours drôle avec tact. Aussi à l’aise dans un bar de Pigalle que dans un salon de Matignon. C’était mon ami. C’était mon « Frère Jacques » comme l’a baptisé ma fille Madeleine, du haut de ses six ans, sans savoir à quel point elle avait raison. Je suis là maintenant pour lui dire merci devant vous. Il imprègne ma vie et celle de nombreuses autres personnes ici, et il va irriguer nos existences jusqu’à leur propre terme. C’était une chance inouïe de vivre aux côtés de ce géant joyeux au si grand cœur… On s’est trouvé au Républicain Lorrain à Thionville en 1987, avant la réélection du Vieux comme il appelait Mitterrand, avec sa façon de donner des surnoms à tout le monde. On tapait les articles de nos 20 ans sur de vieilles machines à écrire. On a vu ensemble nos premiers morts sur le bas-côté des routes. C’était la presse écrite du siècle dernier. La presse de la vie des gens. La presse du malheur comme celle des photos de mariage. Après Thionville, je l’ai suivi à la locale du parisien à Évry. Il y avait déterré de la terre contaminée avec Gilles. Son premier scandale. Evry c’était une vie de dingue. Des affaires à foison. La traque des véreux de tous poils dans un département où les élus avaient mis au point ce qu’on avait appelé « un manuel de la corruption ». C’est là qu’il s’est mis à ressembler à son héros Ben Bradlee… Puis il y a eu la période Saint-Ouen, au siège du Parisien. Son grand rôle, c’était patron des informations générales. Bouffer du « fait du jour ». Tout refaire à partir de 21h. Attendre les premiers exemplaires aux rotos… Quelle journée le 11 septembre… Il a géré 23 pages. Un record. Bien sûr qu’il ne notait rien, il avait tout dans la tête. Il le cachait, mais il était hypermnésique. Son téléphone était vide de tout nom, il connaissait tous ses numéros par cœur. Derrière ses apparences foutraques et désordonnées qu’il lui arrivait de surjouer, lui qui a toujours pris soin de brouiller les pistes et surtout de minimiser son rôle, c’était un bourreau de travail. Arriver tôt, finir tard, et vivre entre les deux. Longtemps il a aimé la nuit, chat à sept vies qu’il était, parce qu’il pouvait s’y cacher. Et souffler un peu, lui qui, le jour, week-end compris, devait trouver du temps pour tout le monde. C’était un chef né. Naturellement charismatique. Gardant son calme en toute circonstance. Capable de tout comprendre au quart de tour. Ses rares colères étaient froides. « Va dans ta chambre !», il m’a dit une fois au bureau. C’était le capitaine de navire en guerre. Au service de sa troupe. Une bande… Eric, Toto, Julien, François, Nelly, Timothée, Azzedine, Christophe, Jean-Baptiste, Isabelle, Sandra, Olivier, Stéphane, Jean-Pierre et Martine, Annie et… Rémy, bien sûr, et j’en oublie tant. C’était surtout un journaliste né. Lui qui dont la voie toute tracée était d’être avocat comme son papa, bâtonnier de Briey (et il aurait été un bon avocat) avait la passion du journalisme. Il avait le DON du journalisme. Le don de savoir instantanément ce qu’il fallait chercher. « Appelle untel et si tu l’as on fait la totale »… Un don de quasi « voyance », capable de détecter avant tout le monde, dans la nuit de fond de l’actualité, le truc qui allait « monter ». Il disait, en provoquant un peu, l’actu ça « s’invente ». Certains journalistes politiques, où il a passé six mois pas simples, le craignaient parce qu’en relisant un papier, il pouvait prendre une phrase cachée au fond du texte, la remonter au début et en faire une manchette tonitruante. Ils le trouvaient « dangereux » et lui trouvaient des défauts parce qu’il ne respectait pas leurs codes… Lui aimait « faire de l’info » comme on fabrique des bombes. Persuadé qu’il était que la « révélation » est la cousine de la Révolution. Et qu’on était là pour changer la vie, pas pour servir la soupe… il a incarné à lui tout seul Le Parisien de ces années 90 et 2000… Sauf qu’à force d’être toujours présent pour les autres, de ne compter ni ses heures ni ses jours ni ses peines, il manquait toujours de tout pour lui. Ces derniers temps, il était fatigué. Il avait décidé de s’arrêter de travailler cet été. Macron ou pas Macron… Ça fait un moment qu’il la préparait cette retraite, il s’était même trouvé un pécule ad-hoc. Longtemps je n’y ai pas cru : « Tu vas t’emmerder Jacques ! » « Pas du tout, je suis un contemplatif, je ne m’emmerde jamais … et puis je veux avoir la paix ». Et il lui arrivait d’ajouter, comme un avertissement collectif : «La caisse de retraite des journalistes est la plus riche de France ». Il rêvait de Los Angeles ou de New York, de revenir au pays des Hommes du Président. Dans 10 jours, il devait aller à Londres avec Martine. Il aurait revu la mer. Il adorait par-dessus tout voyager seul et se retrouver à une terrasse face à la Méditerranée. Il avait adoré Palerme. Il était spécialement allé devant l’arbre planté en la mémoire du juge Falcone. Et Édimbourg en bus à étage et le fantôme du Loch Ness. Sa dernière escapade, lui qui pourtant n’y connaissait rien au foot (même s’il a réussi l’exploit absolu à mes yeux d’écrire un livre sur Benzema), aura été pour une des grandes capitales du ballon rond… ça lui pris d’un coup y a trois semaines : « Je vais à Turin ». « Ah bon, mais qu’est-ce que tu vas foutre à Turin ? » - Y a des billets de train pas cher. Et puis, il va faire beau et j’ai ai marre de la pluie de Paris. - Mais pourquoi Turin, va plutôt à Rome, Venise ou Florence…? - Y a trois trucs à voir à Turin, le Suaire, le musée de la Voiture et le deuxième plus grand musée au monde d’égyptologie. - Mais enfin Jacques, le suaire est un faux, tout le monde le sait. La voiture tu t’en fous complet, et l’égyptologie va plutôt au Louvre. Mais non, il fallait qu’il parte à Turin. Je lui ai écrit « prie pour moi devant le suaire » et j’ai rajouté, « on ne sait jamais… » (excusez-moi mon père). Il a répondu « Promis ». Et puis il est rentré directement pour les urgences de Saint Antoine et Cochin. L’hôpital du Vieux comme il aurait dit. Il a poussé l’élégance de ses derniers quinze jours en faisant d’abord croire qu’il passait de simples examens, puis qu’il appellerait, « promis demain ». « Promis demain »… Avec interdiction impérieuse de chercher à savoir où il était. « Mais comment tu vas aujourd’hui ? » « Bizarrement ». C’est le dernier mot de lui dans mon téléphone. Il venait d’être opéré pour la deuxième fois mais je n’en savais rien. « Bizarrement ». Un dernier mot comme une porte de labyrinthe de ces quinze derniers jours sans jamais se plaindre. En se cachant. Comme dans la chanson de Brassens. Creuse la terre, creuse le temps. Il aimait le large. Il est mort en prenant le large tout seul. Comme tous ceux qui aiment la mer en homme libre. Exactement comme il voulait vivre. Lui qui nous a tant aidés à vivre, n’avait pas besoin de nous pour mourir. Au revoir mon Capitaine. Mon ami. Mon frère Jacques.
Tristan Naxos
Merci monsieur Hennen de m'avoir permis d’effectuer mes premiers pas dans une rédaction, mes premiers pas dans la rédactions du parisien 91. Douce pensée pour vous et votre entourage. Tristan
Caroline
Un homme qui incarnait ce métier avec une rare humanité. Merci